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Lycaons

Alex Barbier

134 pages — 21,5 × 26,5 cm
quadrichromie — couverture
cartonnée — collection 
Amphigouri

 

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ISBN 9782930204413
19 €

Alex Barbier, sur Lycaons

par Vincent Bernière, Fillols, juillet 2003

La nouvelle édition de Lycaons réunit aux côtés de l’histoire principale vos premiers récits courts, qui furent publiés dans Charlie mensuel, au milieu des années 1970. Comment êtes-vous entré dans ce journal mythique ?

À l’époque, les gens de Charlie mensuel m’impressionnaient beaucoup. J’avais la trouille. C’était en 1974, j’avais 24 ans. Pour moi, il n’y avait que Charlie. Pour rien au monde je n’aurais voulu être publié ailleurs. Les premières planches que j’ai soumises n’étaient pas l’une de ces histoires courtes dont vous parlez. C’était un récit en 16 pages de très grand format que j’avais réalisé au sortir de mon service militaire. Une sorte de manifeste sur ma technique, la couleur directe. Malheureusement, ces pages n’existent plus. Disons que personne d’autre que moi n’en a pris connaissance. C’était une bande dessinée qui commençait en noir et blanc pour finir en couleur et qui expliquait justement l’intrusion et l’importance de la couleur dans le récit. Il faut dire qu’à l’époque, je savais exactement ce que je faisais. Que ça ne ressemblait à rien de connu. J’en avais tout à fait conscience, n’est-ce-pas. À l’époque, Wolinski était rédacteur en chef de Charlie mensuel. Et c’était un grand rédacteur en chef, sans aucun doute. Mais personne, dans la rédaction, n’avait ouvert mon paquet. Je n’avais pas de réponse. J’étais bien embêté. Après plusieurs semaines, j’ai donc demandé à ma femme d’aller récupérer mes pages au journal, parce que je ne désirais pas y aller moi-même. Et c’est ce qu’elle a fait. Seulement personne ne se souvenait d’elle ni de son paquet. Au bout d’un moment, Gébé est revenu  avec mes planches sous le bras. Wolinski était avec lui. Ils ont demandé : «C’est toi qui as fait ça ?»
Ma femme a dit non, c’est mon mari. «On le publie tout de suite ! Huit pages !». C’est là que, très vite, j’ai réalisé ma première histoire en huit pages.

Après l’échec de votre carrière de professeur de dessin à l’éducation nationale, vous entrez par la grande porte dans le monde de la bande dessinée. Quel effet cette publication a-t-elle eu sur vous ?

Ouh la la ! Une grande émotion. Oui, en effet. Nous étions avec ma femme sur le Boulevard Saint-Michel et nous avons acheté le journal. Je m’en rappelle très bien. Ils avaient fait une inversion de pages ! C’était très énervant.
Par manque d’expérience, je n’avais pas numéroté les pages, chose que je ne fais plus désormais, bien évidemment. Mais oui, j’était très content. Il faut dire que dans mon petit esprit prétentieux, Charlie mensuel était quand même la publication la plus prestigieuse de l’époque, la plus novatrice. C’était ma place. Un point c’est tout. Wolinski m’a d’ailleurs confirmé bien des années plus tard le joli merdier que mes bandes dessinées avaient causé dans le petit Landernau de la BD. Un monde très conservateur, il faut bien le reconnaître. Un type, Luc Cornillon je crois, avait écrit dans Métal Hurlant que mes bandes dessinées étaient : «Artistiques, dans le plus mauvais sens du terme.» Ce fut encore plus beau lorsque le livre est paru aux éditions du Square. Alors là, de la presse, on peut dire que j’en ai eu. Tout le monde, sans exception. L’express, Libération, Wolinski, Bayon, etc. Tout le monde était baba. Tout le monde sauf un, qui s’appelait Filipinni, si je me souviens bien. Celui-là avait écrit : «Je me demanderai toujours ce que mes amis critiques peuvent trouver de génial à ces tâches de couleur qui n’ont ni queue ni tête.» Bref, un connard. Car de la tête, je veux bien en manquer parfois, quoique. Mais de là à dire qu’il n’y a pas de queue dans mes BD…

Ces premiers récits courts reprennent plus ou moins le canevas des histoires de détectives, à l’américaine. Quel genre de littérature lisiez-vous à l’époque ?

L’influence principale de ces premières histoires, c’est Steeman, essentiellement. Je n’avais pas encore lu Burroughs ni Céline, qui sont venus bien plus tard. Ni Proust, bien sûr. Impossible de lire Proust lorsqu’on a 24 ans. C’est un écrit sur le temps. Alors à cet âge où l’on se croit éternel, on y comprend rien, à Proust. Mais oui, j’avais déjà plusieurs livres fondateurs derrière moi. Faut pas se leurrer, hein ? Bien entendu. Par exemple Victor Hugo. Il faut savoir que Les misérables, ça fait tout de même 2000 pages. Adolescent, sa lecture m’avait totalement bouleversé. Un jour, je devais avoir 12 ou 13 ans, je suis arrivé à table chez mes parents en larmes parce que «Jean Valjean était mort.» Et bien j’ai relu Les misérables l’année dernière et j’ai à nouveau pleuré 3 fois. J’ai pleuré pour les dents de Fantine. À la mort de Gavroche, aussi. «Cette petite grande âme venait de s’envoler.» Ça me tue, ça. Et puis pour la mort de Jean Valjean, encore. Mais oui, les livres m’ont toujours considérablement influencé. Ils influencent ma vie, avec bonheur je dois dire. Mais à cette époque, c’était plutôt Steeman, en effet.

Dans Lycaons, il est question de rapports sexuels entre jeunes hommes, de prise de drogues hallucinatoires. Et de maladie sexuellement transmissible, déjà. Peut-on dire que ce sont des éléments autobiographiques ?

Et bien oui, on peut le dire. Tout ce que je raconte dans mes bandes dessinées, les personnages, les situations et les lieux, ne viennent pas de nulle part, évidemment. Les garçons, oui, ça m’a intéressé un moment. Il faut bien le reconnaître. D’ailleurs, ça ne m’intéresse plus du tout désormais. Pourquoi ? Je n’en sais rien. Mais disons qu’à cette époque, oui, j’avais eu quelques expériences. Notamment lors de mon service militaire. Dans le bureau du sergent-chef. On prenait du Mandrax. Et avec le Mandrax, il faut bien reconnaître qu’on fait un peu n’importe quoi. Notamment du point de vue sexuel. Mais en aucun cas je n’ai consommé des drogues au moment de faire mes bandes dessinées. Burroughs a des mots très justes, à ce sujet. Sur le moment, on a l’impression de commettre un chef-d’œuvre. Mais le lendemain, le tout est à foutre à la poubelle… En tout cas, ne me demandez pas de vous dire exactement ce qui est autobiographique ou pas dans mes histoires. Je n’ai qu’une seule réponse : tout.

Les pages de Lycaons ont été détruites par le feu, contribuant à l’érection de votre légende personnelle. Était-ce un acte terroriste délibéré, spécifiquement élaboré à votre encontre ?

Absolument pas. En fait, cette histoire gardera sans doute à jamais une part de mystère insoluble, dans la mesure où l’on a jamais retrouvé le pyromane. C’était un déséquilibré, qui avait déjà mis le feu à quelques villages avant de débarquer à Fillols, le village des Pyrénées orientales dans lequel nous vivions, à l’époque, avec ma femme. Mais ça, nous ne le savions pas, bien entendu. C’était en 1983, durant l’hiver. Le type est arrivé dans le village et a demandé la maison d’Alex Barbier. Ce qui reste tout de même assez troublant. Et c’est ma femme qui lui a indiqué ! À l’époque, les maisons n’étaient jamais fermées à clef. Le type a du mettre le feu pour se réchauffer ou je ne sais quoi mais, en tout cas, il a mit le feu à cette baraque désaffectée dans laquelle je travaillais et où j’entreposais mes planches. Tout est parti en fumée. Tout, sauf une trentaine de pages que j’exposais à l’époque dans une galerie et une trentaine qui avait été achetées. On peut donc dire que c’étaient mes planches préférées. En tout cas, aucune édition intégrale de Lycaons faite à partir des originaux n’est plus possible depuis cette date.

Justement, ça vous fait quoi d’être publié par un éditeur qui se place aujourd’hui à l’avant-garde de la bande dessinée, quelques 25 années après la première édition en album de Lycaons ?

Ça me plaît. En fait, j'ai toujours aimé être publié chez eux. Finalement, 25 ans après je suis toujours à la pointe apparemment. Lorsque j'ai rencontré les Fréon, c'étaient des jeunes gens timides. Effectivement, ils se plaçaient plutôt dans la marge. Mais enfin, avant-garde, je n'aime pas ce mot, ni en peinture ni en littérature. Moi, je revendiquerais plutôt le classicisme. En art, le progrès, ça n'existe pas, contrairement à ce que pensent certains crétins. L'avant-garde, c'est ce qui se démode. Moi, ce qui m'intéresse, c'est de coller au plus prêt au réel. Et je ne vois pas préoccupation plus naturelle pour un artiste. J'ai toujours dit que j'adorais les classiques, en bande dessinée, en peinture ou en littérature. Mon dessin est classique, oui. La façon de le dire est disons, plus moderne, éventuellement. Quand je regarde Lycaons aujourd'hui, je me dis que j'étais un peu gonflé mais la vérité c'est que j'essaie d'éviter de le regarder pour le moment. Je l'aime bien ce livre, je suis content qu'il reparaisse. Cela dit, quand je pense à ce que je suis en train de faire, le troisième tome de Lettres au maire de V., je me dis que je n'ai pas trop changé… C'est quand même assez hard, oui. Ouh la la…