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Ben Katchor, sur Le Juif de New York

Amok, 2002
Rackham, Le Signe Noir, 2008

2002

A ma connaissance, Le Juif de New York est le premier de vos livres à faire explicitement référence au judaïsme. Comment est né ce projet ?

L'édition en langue anglaise d'un vieux journal yiddish, The Forward, voulait une bande dessinée hebdomadaire. J'avais lu une note de bas de page dans un livre sur l'histoire juive américaine à propos de Mordecai Noah et j'ai pensé que son projet avorté (établir un état juif sur une île de l'Etat de New York pour y accueillir les juifs du monde entier) pourrait être un bon point de départ pour une histoire. Après avoir longtemps travaillé sur les livres de Julius Knipl, je voulais essayer d'écrire à propos d'un monde que je n'avais pas connu. Le Juif de New York a été publié pendant 52 semaines dans The Forward, puis plusieurs années plus tard a été retravaillé pour une publication en un volume.

Quelle différence cela fait-il de travailler sur des histoires courtes pour les journaux et de réaliser un long récit ?

Comme je le disais, Le Juif de New York était également un strip hebdomadaire. J'avais une vague idée de là où j'allais mais j'inventais au fur et à mesure des semaines. Chaque épisode était prévu pour contenir une scène qui puisse tenir par elle-même. Quand cela a été compilé pour le livre, il y avait toutes sortes de petites discordances dans la narration, j'en ai laissé certaines et j'en ai corrigé d'autres.

Vous êtes de toute évidence un auteur de bande dessinée qui utilise beaucoup de mots. Quelle est votre relation avec la littérature ? Avec la bande dessinée ?

Une bande dessinée peut couvrir tout le spectre de l'expression et du sens, du mot abstrait à l'image concrète, pleine de détails. Parfois, un moment d'une narration est plus justement exprimé avec des images concrètes, d'autres, ce sont les mots qui conviennent le mieux. La plupart du temps, c'est quelque chose un peu entre les deux : le mot comme commentaire d'une image et l'image éclairant le mot. J'ai toujours eu une certaine méfiance envers ces deux "extrêmes". Il était donc inévitable que je fasse de la bande dessinée. J'aime que mes dessins soient plein de son et donc, j'ai tendance à utiliser beaucoup de texte.

Vous donnez beaucoup de lectures et vous utilisez beaucoup le discours parlé dans votre narration. Avez-vous une affinité particulière avec la littérature orale ?

Je voulais évoquer le son du discours américain des années 1830. On utilisait à cette époque une espèce de rhétorique un peu grandiloquente, qui, je pense, avait un effet sur le comportement des gens et sur la manière dont les histoires étaient racontées. Je voulais que la narration du Juif de New York évoque cette rhétorique alambiquée. J'adore écouter de bons conteurs. Mon père et ses amis étaient de grands parleurs, principalement en yiddish, et parfois ces qualités spécifiques de la littérature orale, expressions du visage, gestes des mains, me manquent. Mais on peut retrouver cela dans la bande dessinée.

Vous avez également d'autres champs d'activité ?

J'ai récemment écrit un livret et dessiné les décors d'une pièce de théâtre musicale, The Carbon Copy Building avec les musiciens Michael Gordon, David Lang et Julia Wolf. Elle a été montée à Turin, Hambourg et aux Etats-Unis. Je travaille actuellement à A Check-room Romance, une nouvelle collaboration, toujours pour du théâtre musical, avec Mark Mulcahy. Le théâtre est une autre forme d'art qui combine image et texte.

Dans vos livres, la frontière est ténue entre la réalité et les inventions les plus fantaisistes. D'où tirez-vous votre inspiration et comment bâtissez-vous vos histoires ?

Toutes mes histoires sont basées sur l'observation précise des détails du monde dans lequel nous vivons, ou, dans le cas du Juif de New York, de livres d'histoire. Les éléments narratifs se mettent en place en développant et en suivant des pistes intuitives jusqu'à leur conclusion inévitable. Certaines gardent tout leur intérêt, d'autres sont abandonnées.

Malgré l'existence de votre célèbre Julius Knipl, vos histoires ne font pas appel à l'identification. Il y a énormément de personnages mais aucun qui soit de manière privilégiée votre alter-ego. Ben Katchor, est-il un personnage de Ben Katchor ?

J'ai fait énormément d'histoires à propos de personnages obsessionnels dans différentes formes d'entreprises. En ce sens, c'est vrai que je me sens comme un de mes personnages. Heureusement pour moi, je suis capable de garder mes obsessions sous contrôle et les canaliser en un moyen de gagner ma vie !