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BlackBookBlack

Olivier Deprez & Miles O’Shea

32 pages — 13,5 × 20,5 cm
noir & blanc — couverture souple
avec jaquette — collection
Flore

 

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ISBN 9782350650234
9 €

Olivier Deprez, sur BlackBookBlack

Quel est votre parcours ? Vous avez écrit des textes avec Jan Baetens, c’était dans quel cadre ?

J’ai étudié la bande dessinée à l’institut St-Luc de Bruxelles. C’est là que j’ai rencontré Thierry Van Hasselt, Vincent Fortemps et Jean-Christophe Long avec qui j’ai fondé Frigo Production qui est devenu bien plus tard Frémok. Un peu après mes études, j’ai rencontré Jan Baetens, un écrivain qui s’intéresse de très près à la bande dessinée. Il m’a initié à la théorie. Je pensais à l’époque (et je le pense toujours) qu’un mouvement artistique ne pouvait pas se passer de la théorie, ne serait-ce que pour des raisons pédagogiques. J’ai donc écrit quelques articles qui ont été publiés sur des sites ou dans des revues. Jan Baetens m’a aussi introduit dans le cercle des poéticiens qui s’intéressent à la contrainte. La vocation réformatrice de la revue Formules qui se démarquait d’une certaine orthodoxie oulipienne m’a intéressée. J’ai donc participé à cette revue qui ouvrait, et continue d’ouvrir, la notion de contrainte à toutes les formes d’art. Par ailleurs, j’ai toujours refusé d’être enfermé dans des catégories et je n’ai jamais envisagé l’acte créatif exclusivement du point de vue de la bande dessinée. Je recherche les frontières et m’intéresse aux objets mixtes. C’est dans cette perspective que j’ai rencontré Jacqueline Sudaka-Bénazéraf, l’auteur qui a écrit sur Kafka les commentaires les plus stimulants de ces dernières années. Elle m’a aidé à comprendre le sens de mon geste qui oscille entre écriture et dessin. Les deux seuls livres que j’ai publiés le montrent.

Le Château est un livre qui se situe à l’intersection du livre gravé dans la tradition d’un Masereel et de la bande dessinée.  Construction d’une ligne de TGVest un livre illustré, mais qui se démarque du livre de poésie traditionnel. Je ne suis pas un auteur de bandes dessinées. Je suis quelqu’un qui cherche des formes, des moyens pour articuler des canevas, des sensations, des rapports. L’idée de produire chaque année un livre de bande dessinée, voire plusieurs, me paraît insensée. L’idée d’appartenir à un domaine de création déterminé me paraît insensée. Le type de rapport qui s’instaure entre un auteur à succès et son lectorat me paraît insensé. Je ne pense pas que l’art puisse s’inscrire dans ce type de rapport sans y perdre l’essentiel.

Qu’apporte l’utilisation de la gravure sur bois pour la fabrication d’un livre noir ?

La gravure sur bois est d’abord un processus qui me permet de rester proche d’un matériau spécifique. La gravure sur bois s’inscrit dans une longue tradition. Elle a été depuis Dürer et jusqu’à aujourd’hui en passant par les expressionnistes, les artistes russes comme Olga Rozanova, un moyen privilégié de renouvellement des formes artistiques. Cette technique permet de maintenir une présence concrète, physique, matérielle de l’objet d’art. Elle est relativement simple. J’aime partir de la simplicité pour développer des objets complexes, stratifiés comme le bois que j’utilise. Le livre noir est la concrétisation et la quintessence du processus de la gravure sur bois. Le livre présente le noir spécifique de la gravure sur bois, il en exhibe la matérialité chatoyante. Il rehausse la page de ses vibrations, des variations qui se produisent au contact de la lumière un peu comme sur un tableau de Soulages. Le livre noir rassemble les impressions de noir et leur donne une forme livresque, une forme qui peut être manipulée.

Qu’est ce qu’un livre noir ?

Il existe deux types de livre noir. Il y a le livre noir intitulé Blackbookblack que Frémok publie. C’est-à-dire un livre qui sort d’une presse offset. Ce livre met en perspective le processus de la gravure et présente les opérateurs qui accompagnent le processus. Il existe un second type de livre noir, évoqué précisément dans les pages du Blackbookblack. Ce second type de livre noir est un livre entièrement composé de pages noires, un livre fait main qui rassemble des impressions de gravures totalement noires.

Le livre noir a pour objet la présentation de la couleur noir non pas conçue de manière absolue, mais conçue comme expression par excellence de la gravure sur bois. Le noir est en quelque sorte une contrainte qui dynamise et catalyse le livre noir. L’objet du livre noir est de magnifier le noir, d’en faire une valeur créatrice de premier plan, et à un autre degré, c’est une façon de montrer qu’à partir d’un élément très homogène et très simple, on peut développer un ensemble complexe et hétéroclite.

Le livre noir est aussi un manuel à l’usage des opérateurs. Le livre indique ce qu’il convient de faire. De ce point de vue, le livre noir a une portée morale en ce sens qu’il donne un cadre et recommande de faire un certain type d’action. C’est à la fois un manuel technique qui explique comment s’y prendre pour fabriquer un livre noir et c’est aussi un manuel de savoir-vivre, de savoir-être pour les opérateurs (les opérateurs sont les personnes qui participent au processus du livre noir).

On pourrait aussi dire du livre noir publié par Frémok qu’il inaugure une forme encore inconnue d’auto-fiction puisqu’il s’agit d’une forme collective d’auto-fiction. Le livre noir raconte l’histoire d’un dispositif dans lequel entrent le lecteur du livre noir, le graveur, l’imprimeur des gravures noires, etc. C’est donc la mise en fiction d’un processus de création. Il ne s’agit plus de mettre en avant un «je» homogène et déterminé, mais le processus du jeu collectif qu’est le livre noir. On sort du coup de cette atmosphère un peu étouffante de l’auto-fiction égotiste et finalement égoïste, nombriliste.

Quel est le rôle de Miles O'Shea dans le livre BlackBookBlack édité par le FRMK ?

Miles O’Shea est un opérateur qui participe au processus du livre noir. Il a inspiré les gravures du livre Blackbookblack. C’est lui qui a orienté le livre vers le processus. Il a induit cette idée qu’il fallait trouver un pont entre les éléments biographiques et le processus. En somme, il est le sujet du livre noir en tant qu’opérateur. Les gravures évoquent son existence, son histoire tortueuse et vagabonde, un irlandais en exil qui a vécu un peu partout dans le monde et qui a exercé divers métiers. Le prototype parfait de l’artiste errant en quête d’une forme.

Comment le livre accompagne t-il la performance ?

Le livre est le manuel du savoir-vivre de la performance. Il indique aux opérateurs qui réalisent l’action ce qu’il convient de faire. Il précise les circonstances et les conditions de l’action. Il donne son sens à la performance car il lui raconte une histoire. C’est le rôle de l’histoire de donner un sens aux gestes que l’on pose. Le livre noir est donc aussi le livre de l’histoire de la performance.