Thierry Van Hasselt & Karine Ponties
180 pages — 17 × 24 cm
bichromie — couverture cartonnée
hors collection — coédition avec
Dame de pic
ISBN 9782930204437
Thierry Van Hasselt, sur Brutalis
Historique du projet
Karine avait lu mon premier livre : Gloria Lopez. Un long récit en bande dessinée réalisé en monotype. Il y est question d’un médecin légiste fasciné par la dépouille d’une jeune femme à la destinée tragique. Une sorte de Justine dont il essaye de recomposer la trajectoire. Le récit s’enlise et se perd au gré des hallucinations du médecin. La matière de l’encre, fluide, flottante semble prendre possession de la page et déterminer l’évolution et les circonvolutions des personnages. La mouvance du noir et ses innombrables nuances offre au regard un écho amplifié de l’étrange et improbable existence des personnages.
Karine est venue me trouver. Elle me parlait de cette matière, du corps, du mouvement et de la danse. Elle désirait créer un solo. Elle avait déjà le titre. Elle voulait la matière et le corps. Un rapport entre la fixité de la matière en mouvement et la réalité vivante du corps.
On est donc parti, avec ce titre en tête.
Pour commencer, pour entrer dans le sujet, pour confronter le corps à cette matière, on s’est installés au studio pour réaliser une longue série de dessins d’après modèle. Karine posait, je dessinais. Elle rentrait dans l’espace de mes pages. Son corps absorbé, transformé par cette matière.
Evidemment ces longues séances de poses constituaient aussi le moment privilégié de la réflexion. Dans ces moments de temps suspendu, de concentration, sont apparus progressivement un ensemble de sensations, d’atmosphères, de sentiments et d’idées.
Les axes de travail se sont bien vite démultipliés, la compagnie au complet, nous étions 5 à faire tournoyer les idées et à les tordre. On commençait à travailler sur un spectacle vivant. Des constructions débutaient, des matières concrètes sont apparues, répondant à la matérialité plate des dessins. Le café est arrivé, les plaques lumineuses… Les premières répétitions, l’éclairage…
Le sens se précisait. Un ensemble de sensations envahissait discrètement l’atmosphère.
Et toujours je continuais à dessiner. Il fallait que le corps reste captif de la matière. Karine travaillait un moment le mouvement puis son corps devait se figer pour retourner dans l’espace fixe et plat de ma page.
La fluctuation de la matière devenant comme le journal des sensations du projet. Chaque nouvel élément y était fixé. On ne pouvait plus y déroger. Il fallait que tout ce qui apparaissait soit consigné dans la matière. Plus le mouvement se précisait, s’intensifiait, moins l’idée de pause avait un sens. Il fallait maintenant que je consigne aussi le mouvement.
C’est de cette matière, accumulée durant toute la conception et la création du spectacle, que je me suis servi pour faire le livre. Une grande partie a du être évacuée. Il a fallu organiser, créer un nouvel ordre. Trouver un agencement, une circulation.
Il n’y a pas de narration. Juste une plongée, une perte. Une noyade de l’œil.
Comme si chaque chapitre faisait émerger un panel de sensations. On y avance comme dans une jungle. La matière est dense. Mais le paysage change. Le trajet opère par glissements successifs et sans aucun doute on se rapproche d’un corps gagné par l’accalmie. De plus en plus concret.
Le livre se lit seul. Il se suffit à lui-même.
Le livre se lit comme une extension du spectacle.
Après avoir vu le spectacle, lire le livre prolonge l’intimité avec le corps.
Le spectacle se suffit à lui-même.
Le spectacle se voit comme une extension du livre.
Assister au spectacle prolonge l’intimité avec la matière.