Je m'appelle Chloé Delaume. Je suis un personnage de fiction. J'ai pour principal habitacle un corps féminin daté du 10 mars 1973. Conception franco-libanaise, le néant pour signe particulier. Les locaux étaient insalubres lorsque j'en ai pris possession.
Je m'écris depuis huit ans dans des livres publiés, proposés à la vente, parfois achetés, plus rarement lus. J'y investis temporairement des lieux, des corps, des territoires. Parfois des espaces sociétaux.
Ma pratique est artisanale. 1977, Serge Doubrovsky, sur Fils : « Fiction, d'événements et de faits strictement réels. Si l'on veut, autofiction, d'avoir confié le langage d'une aventure à l'aventure d'un langage en liberté ».
Je fabrique de la littérature expérimentale. La langue est un outil autant qu'un matériau. J'effectue des recherches, reste attachée à la notion de laboratoire. Chaque projet n'est qu'une tentative, parfois une simple proposition. C'est la composition du geste qui m'intéresse. Ainsi que l'agencement de la plomberie, l'extraction des ressentis stockés par la mémoire, le jeu de la situation.
Je me construis à travers des chantiers dont les supports et surfaces varient, textes, livres, performances, pièces sonores; seule ou aux côtés de personnes compétentes.
Malgré les apparences, puisque je communique, je ne collabore pas à l'avènement du divertissement culturel. Je pense que le mot livre n'est pas littérature, que la métonymie est une figure suspecte à force de gloutonnerie. Que le mot chien peut mordre puisqu'on le stérilise.
Alors à défaut de faire bugger la fiction collective, je m'astreins aux entrechats de côté. En même temps je ne suis pas la seule. Et ça, c'est plutôt rassurant.