Alice sous la terre
«À quoi peut bien servir une livre sans images, ni dialogue?» questionne Alice, l’aventurière du pays des merveilles. Un lapin en gilet rouge, montre en main, se précipite sous son nez. On connaît la suite illustré par John Tenniell ou Walt Disney,Tim Burton ou mille autres. Mais avant cela, à l’origine, il y a les images et les mots de Lewis Carroll. Il y a une après-midi d’été à marquer d’une pierre blanche. Il y a une petite Alice Liddell qui demande à un Charles Dodgson, qui n’est pas encore Lewis Carroll, de faire un livre de l’histoire qu’il a improvisée pour elle. Ce livre originel, ce carnet où mots et images passionnément dialoguent, le voici miraculeusement restitué en français pour restituer une idylle unique.
Alice au pays des merveilles est l’objet d’un véritable culte. L’héroïne de Lewis Carroll fait partie de ces mythes constamment visités, revisités, interprétés, retravaillés. Ce culte, qui peut étendre son spectre d’influence depuis les oeuvres les plus avant-gardistes jusqu’aux productions les plus conventionnelles, a longtemps laissé dans l’ombre un petit carnet aujourd’hui conservé par la British Library. Lors d’une ballade en barque, un diacre improvise pour les filles de son doyen l’histoire d’une enfant lancé au coeur de la terre à la poursuite d’un lapin blanc. La plus jeune des enfants, Alice Liddell lui demande d’en faire un livre. Manuscrit et illustré par l’auteur lui même, le carnet sera offert en cadeau de Noël alors que Charles Dodgson ne fréquente déjà plus les filles Liddell. le succès est tel que s’impose l’idée d’une véritable édition. Le texte est augmenté, des illustrations sont alors commandées à John Tenniel, un illustrateur renommé de la revue satirique Punch. Alice’ adventures under ground est devenu Alice in Wonderland. Le succès est phénoménal et ne se démentira jamais, éclipsant presque totalement toutes les autres créations ultérieures de Lewis Carroll.
25 ans après la première publication d’Alice in Wonderland, Charles Dodgson contactera Alice Heargraves, née Liddell, pour pouvoir photograver et publier la version originale, sa version, leur version à tous les deux. Pourtant, l’oubli recouvre le carnet et ses images relégué(e)s par les exégètes carrolliens au rang de brouillons. Ensevelie sous la terre, Alice attendait qu’on l’exhume. Elle attendait que d’audacieux archéologues littéraires, de téméraires spéléologues graphiques, viennent la tirer de son sommeil souterrain.
En 2007, Les aventures d’Alice au coeur de la terre ramenait au grand jour Alice’s adventures under ground, sous la forme d’une édition bilingue en fac-similé. En 2015, le carnet original se voyait confirmé dans sont statut d’oeuvre phare de la littérature graphique grâce à une traduction calligraphiée par Amandine Boucher, lettreuse qui a officié sur les versions françaises des oeuvres de Windsor McCay, David Mazzuchelli ou plus récemment Emil Ferris. Cette version, qui permet désormais au lecteur francophone de faire la rencontre intime de l’oeuvre, s’est imposée de manière presque souterraine. La présente réédition laisse éclater ce succès en pleine lumière. D’une histoire devenue presque banale tant elle fait partie du paysage, Alice sous la terre refait une expérience fulgurante. C’est ce qui le place désormais comme un incontournable livre de fond dans le champs si riche des littératures graphiques.