Ce pays qui est le vôtre
Injustement placé en garde à vue, un homme se remémore son retour en Algérie, pays de son enfance, son arrivée en France et sa vie et celle de ses amis. Sa bataille pour prouver son innoncence prendra la forme d'une lutte pour tracer sa propre histoire.
Accusé d’une tentative de vol en 1987, Kamel Khélif a dû batailler pendant trois ans pour prouver son innocence face à la parole sacrée de la victime. Arrêté, il lui faut endurer une garde-à-vue, pratique héritée de l’Inquisition et pourtant plus que jamais d’actualité.
Si le livre prend pour point de départ cette expérience, il est bien loin de s’y limiter. Après avoir fait siens les mots de Farès, Gibran ou M, Kamel Khélif signe son propre texte, sa propre histoire. Sans doute faut-il voir là la raison de l’exceptionnelle richesse de son livre, œuvre à tiroirs où chaque mot, chaque image est susceptible d’ouvrir sur de nouvelles significations.
Bien que le récit soit autobiographique, Khélif se refuse à l’écrire à la première personne. Rejetant la simple anecdote, il signifie que cette histoire est aussi celle d’autres.
A l’heure où Al-Djazaïr, l’année de l’Algérie en France, voudrait célébrer les retrouvailles consensuelles et idylliques des deux pays, le livre de Khélif préfère porter la question. Car de quel pays s'agit-il ici ? De l'Algérie pour les premiers immigrés, de la France pour les français d'origine mais pour la deuxième ou la troisième génération d'immigrés ? Quel pays est le leur ? Quelle terre pour accueilllir les dépouilles ? La jeunesse perdue à laquelle Kamel Khélif dédie son livre a été perdue pour l'Algérie du fait de l'immigration. Fauchée par la délinquance et la répression, elle a aussi été perdue pour la France. La conclusion de l’ouvrage donne à penser que tout peut recommencer à chaque instant, ce que tendent à attester les dérives sécuritaires actuelles.
Face à ces destins collectifs qui semblent frappés du sceau de la fatalité, il y a pourtant bien un horizon qui s’offre dans ces pages. Sur le mur de la prison qui l’enfermait, Kamel Khélif n’a pas inscrit son nom. Avec les taches, son imagination par contre a composé la chapelle sixtine de Michel-Ange. Dans chacun de ses récits, on trouve des chambres, des fenêtres qui s’ouvrent sur le présent autant que sur le passé. La chambre, comme le livre, forme le territoire de l’intime : un endroit à soi, un espace pour être soi, un pays véritable. Voilà la lumière, la fragile victoire que l’on trouve dans les ombres, les encres ou les fusains de Khélif. L’art, l’intime, pour s’en sortir.