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Autoportrait du vampire d’en face (Lettres au maire de V., vol.2)

Alex Barbier

118 pages — 21 × 26,5 cm
quadrichromie — couverture souple
collection Amphigouri

 

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ISBN 9782930204314
25 €

Entretien avec Alex Barbier : la fin des illusions

par Pierre Pololomé, Bruxelles, 9 janvier 2001

Lettres au Maire de V paraissait en 1998. Vous publiez Autoportrait du Vampire d'en face aujourd'hui, soit seulement trois ans plus tard. C'est une forme de record pour vous, non ?

Non, ce n'est pas aussi rapide que vous le dites parce que Lettres... était quand même fini depuis un certain temps quand il est paru. D'ailleurs, il était paru d'abord dans Morning, au Japon, à raison de huit pages par semaine. Donc, ça a pris un certain temps avant la parution en français. Pour Autoportrait..., je l'ai fait sur quatre ans. Enfin, pas tout le temps. La première année, j'ai dû travailler un mois seulement, parce que je n'arrivais pas à cerner les choses. La deuxième année, j'ai travaillé plus sérieusement. Puis la troisième aussi. Puis la quatrième, j'ai fait simplement les textes.

Et entretemps, vous avez fait d'autres travaux graphiques, comme de la peinture par exemple ?

Bien sûr. Ça dépend où je me trouve. La bande dessinée, je ne la travaille que dans le Jura, jamais à Fillols. Sinon, je n'y arrive pas, je ne sais pas, il faut être absolument seul. Tandis que la peinture nécessite moins de mise en scène dans le fond. C'est plus facile, ça demande moins de concentration. Mais ne le dites pas à tout le monde.

Dans Autoportrait..., on retrouve des personnages des Lettres... : Ernest P. le retraité, la famille autour de Marie Adrénaline et d'autres. Ces personnages ont évolué, en quelque sorte ? Oui, c'est réellement la suite au fond. C'est une série ?!

Ah non, je ne crois pas. Pour l'instant, on va dire que c'est un dyptique. Il n'est pas interdit de penser qu'il puisse y avoir un tryptique. Mais je n'en sais encore rien, je suis au degré zéro de la prochaine bande dessinée. Mon cerveau est très vaguement en train de chercher. Par exemple, je ne sais pas si je vais faire quelque chose cette année. Je suis en train de ramasser des idées, voilà. Donc, il pourrait y avoir un tryptique mais après ça s'arrête. Ça pourrait être le même livre, très épais. Mais c'est très bien en deux albums pour l'instant.

On sent qu'il s'est passé du temps entre les deux histoires...

Oui. L'héroïne principale n'était qu'une toute petite fille dans les Lettres.... Elle a grandi et son frère n'est plus dans le placard puisqu'il est à la mairie à présent. Sinon, c'est les mêmes personnages.

Les décors aussi se sont déplacés. Dans les Lettres..., on se trouvait souvent dans l'ancienne gare alors que dans l'Autoportrait..., on traîne dans un ancien hôtel désaffecté.

Bien sûr puisqu'il y a un personnage nouveau qui est quand même un vampire. Il ne vit pas dans la gare comme le loup-garou, qui lui n'y va plus bien sûr puisqu'il est à la mairie. C'est son nouveau domaine, il a changé de lit depuis qu'il est maire. Il est toujours LG mais enfin bon, ce n'est pas pareil. Donc, le vampire est le personnage principal et il ne vit pas dans le même endroit.

Vous développez sa psychologie, ses goûts, ses doutes, alors que du vampire, on parle en général en termes de répulsion pour les gousses d'ail ou les crucifix. C'est le contraire de la tradition ?

Il ne faut pas oublier le titre, qui est important parce qu'il résume bien la chose. Autoportrait..., malgré tout. Bon, il est bien évident que mon vampire s'en fout des crucifix et des gousses d'ail. Il circule le jour, sans que la lumière le dérange. Il est comme tout le reste de la société, il a évolué. Ce n'est pas un vampire à la papa, c'est un vampire d'aujourd'hui. Quant à la psychologie… Cette deuxième partie est beaucoup plus mélancolique, au fond. Ça sent comme la fin d'un monde. La fin des illusions, c'est ça que ça raconte. C'est pourquoi ce n'est pas de la psychologie mais plutôt de la description.

L'impression que laisse la lecture d'Autoportrait... est paradoxale : c'est un livre aux espaces vastes et ouverts mais c'est aussi une plongée organique dans les corps. Pourquoi ces deux forces ?

Je pense qu'Autoportrait… décrit effectivement des paysages intérieurs et extérieurs. C'est de l'impressionnisme, de l'impressionnisme qui décrit des paysages surtout intérieurs.

Une fois de plus, ce sont vos encres qui génèrent les atmosphères, tout en variant beaucoup en cours de séquences. Votre technique est très particulière. Y a-t-il d'autres auteurs qui travaillent comme vous ?

Non, personne à ma connaissance. C'est une technique que je n'aime pas décrire mais disons que je ne m'en lasse pas du tout. Au contraire, je trouve qu'elle s'affine au fur et à mesure des livres. Par exemple, les superpositions. Je ne faisais pas des choses comme cela avant, ou très rarement. C'est plus facile pour moi aujourd'hui, je possède de mieux en mieux cette technique, comment pourrais-je m'en lasser ?

On voit parfois une chauve-souris apparaître en surimpression. C'est un hommage au Nosferatu de F.W. Murnau (film muet allemand de 1922), ou je me trompe ?

Ben oui, ce n'est pas interdit de faire des allusions aux classiques quand même. C'est indispensable et c'est même amusant. Mais c'est un vampire à la papa, cette chauve-souris…

C'est ça, mon vampire, c'est le fils du vampire à la papa. Bon, il faut quand même rappeler un peu ses grands-ancêtres. 

Qu'apprend-on sur l'étrange petite ville de V. ? Elle semble encore plus déglinguée que dans les Lettres...

Oui, c'est ça dans le fond. Le premier album est clair dans sa non-clarté, si on veut. Alors que Autoportrait..., c'est la déglingue totale. Ça ne va plus du tout. Les tentatives pour sortir de V. sont vouées à l'échec. Il y a trop de créatures qui rôdent. On ne peut plus se confier à personne, il n'y a vraiment plus personne de fiable. C'est comme les décors, ils ne sont pas fiables non plus. En fait, c'est la déglingue complète. Faut-il s'en étonner ? Regardez le premier magistrat de la commune. Vous voyez qui il est ? Il est pris de doute, remarquez qu'il est mélancolique. Il est démoralisé par la présence du vampire. Il se trouve ringardisé. Un LG qui doute, c'est plutôt rare, on n'avait jamais vu ça. Quant au vampire, c'est une fin de race.

Le maire est au centre de cette décomposition. Mais vous évoquez aussi des gens qui ne sont pas élus, les Enarques, qui grandissent dans des écoles.

Oui, je ne peux pas m'en empêcher. C'est des gens que j'adore. Voilà, je fais des petites allusions pour me faire plaisir à moi. C'est le cas aussi pour moi-même, dont un autoportrait en habitant de F., retrouvé les fesses à l'air, apparaît dans le livre. C'est bien dans mon genre de me mettre en scène mais je ne l'avais pas encore fait de cette manière-là. Ce n'est compréhensible que des initiés, ceux qui connaissent le peintre dessinateur de B.D. dont il est question.

On va sûrement parler de pornographie, une fois de plus, à propos de ce livre.

Sûrement. Mais, qu'est-ce que vous voulez, c'est comme ça. Le mot est mal placé, la pornographie c'est autre chose. C'est une fin en soi, ce qui n'est absolument pas le cas ici. Ce serait idiot de se braquer. Mais bien entendu qu'il y a aussi de la sexualité cruelle.

En fait, tout s'entremêle : les maladies, la mort, les souffrances, mais aussi les plaisirs, le jeu et... l'humour.

J'espère qu'il y en a toujours, même un peu plus que d'habitude. L'humour est toujours dilué dans autre chose. Je suis quand même content du texte. J'ai fait beaucoup d'emprunts, de pastiches, de machins déformés, de choses piquées à droite et à gauche. J'ai beaucoup piqué pour donner cette impression de « disjonctage » total. Je ne dirai pas où mais il s'agit de tellement de gens. Je le fais sans vergogne parce je ne vais pas me gêner. Comme le conseillait Burroughs. Je l'ai toujours fait plus ou moins mais jamais à ce point.

Ces dissections, par exemple, elles proviennent d'un manuel?

Oui, d'un manuel très sérieux que Thierry van Hasselt m'a prêté. Un livre sublime dont j'ai eu l'idée de m'inspirer la première fois qu'il me l'a montré. Alors, je m'en suis servi, obligatoirement.

Vous partagez, vous et van Hasselt, une même fascination pour la peau, la chair...

Oui, j'en mets dans toutes mes bandes dessinées, ce n'est pas nouveau. Il y a toujours de l'érotisme, des corps. C'est plus qu'une fascination. Ça a toujours été présent dans l'art moderne, sauf dans la deuxième moitié du vingtième siècle. Maintenant, on préfère mettre d'autres choses : des cailloux... c'est pas sale, ça. A part dans la bande dessinée où on travaille encore cette question du corps, une question primordiale qui fait qu'on est dans un art majeur.

La fin du livre est assez explicite, avec ses infirmiers. Ça sent l'embarquement et la camisole.

On va dire que c'est la fin du deuxième livre. Ça pourrait s'arrêter là. Je ne sais pas. Mais c'est quand même encore une fin ouverte, une pirouette de plus. Ce que l'on a lu avant n'a plus le même sens que ce l'on croyait. C'est une pirouette ultime dont j'aurais pu me passer au fond. Un suicide de vampire, est-ce possible ? Il n'est pas certain qu'il faille prendre cette pirouette ultra sérieusement : il y en aura peut-être encore une autre derrière. J'y réfléchis en ce moment.