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Moloch

Michaël Matthys

100 pages — 21 × 26,5 cm
bichromie — couverture cartonnée
collection Amphigouri

 

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ISBN 9782930204420
22 €

Michaël Matthys, sur Moloch

par Olivier Deprez

Michaël, d’où viens-tu et comment as-tu découvert la bande dessinée ?

A l’académie de Tournai, je me suis isolé pendant un an dans l’atelier de gravure, je n’avais pas la même démarche que celle empruntée par l’atelier BD, j’étais plus dans la recherche et c’est comme ça que j’ai découvert la litho… J’ai refait une année… Et puis j’ai rencontré Fréon et j’ai exposé mes dessins à Autarcic Comix en nonante-sept aux Halles de Schaerbeek.

Alors que je faisais de l’aquarelle, j’ai expérimenté l’aquatinte, le résultat était très intéressant alors j’ai continué à faire des essais de gravures chez moi...

Comment as-tu découvert l’usine de Charleroi, comment est né ton projet ?

J’étais étudiant, je travaillais comme ouvrier pendant les vacances et j’étais fort impressionné par l’industrie, par le métal… Et puis j’ai rencontré Jacques Ruflet.

Auparavant, je travaillais à la raffinerie d’Anvers mais ce n’était plus possible alors je suis rentré à Charleroi et j’ai été embauché à CDC, c’est mon premier contact avec le fer… Cette usine de montages métalliques, qui fabriquait des structures était petite, avec trois ou quatre ouvriers mais Rufflet était fort connu, il bossait comme une bête ! Quand il embauchait des intérims, il ne les laissait même pas avoir de pauses pour fumer leur cigarette, je l’ai même vu leur balancer son marteau ! Un ours… Tout était possible ! Il avait des bras énormes, c’était impressionnant, cet homme gigantesque !

La première fois que je suis arrivé dans l’atelier, il m’a demandé d’aller chercher un plat de six par huit… J’ai mis une heure pour trouver ce que c’était et pour finir je me suis retrouvé sur des tiges en métal et des poutres métalliques, un stock de vieux fer énorme !

Tu te demandes comment c’est possible, dans un tout petit atelier comme ça… J'ai eu mon baptême du feu, j’avais une barbe et des longs cheveux et en disquant tout a pris feu !!
Je crois que J. Rufflet m’appréciait assez et il m’avait dit “ faut faire une bande dessinée sur l’usine...“, l’idée m’est venue là, en nonante six... J’ai commencé Moloch l’année suivante...

Quand Caterpillar a fermé pour un mois, en juillet, je travaillais à Roisin avec mon père et je rêvais déjà du livre ; je suis retourné dans l’atelier pour faire des photos fin août, et puis j’ai fait mes premières plaques en septembre.

A ce moment là, j’ai écrit un court récit pour Frigobox qui n’a pas été publié mais le projet a commencé à se mettre en place avec dix-neuf planches...

J’ai pris contact avec l’usine Cockerill, Daniel Henry était très intéressé par mes gravures, ça s’est très bien passé. Il m’a donné une clé, un casque et je suis rentré partout… J’y suis allé deux fois. 

Les ouvriers travaillent tout le temps, ça ne s’arrête jamais ! Quand tu rentres là-dedans, tu rentres dans le noir, tu vois pas les heures passer…

Comment est-ce que tu t’y es pris pour pousuivre ton travail de gravure ?

J’ai pris un appareil photo, avec un grand angle et un plus petit pour avoir le plus d’informations possibles, je voulais mêler le figuratif et l’abstrait avec la matière qui était là et puis j’ai reprécisé ce travail avec le dessin, je recomposais les photos, la lumière ; en gravure, on dessine le noir et j’ai vraiment pû travailler cette matière avec l’aquatinte.

Il y a d'abord les photos et puis à l’atelier, c’est différent, j’ai été fort influencé par les romantiques, par Piranèse, comment retrouver ces atmosphères à notre époque, ça m’a poussé à faire le livre...

Chez Piranèse, il y a des vues d’ensemble de prison, des images vides sans personnages mais qui disent beaucoup. 

Quand je préparais la première version, je regardais les toits de l’usine, la lumière, je ne regardais pas les ouvriers et je pensais "mais tient c’est comme Piranèse". Je me disais, voilà les nouvelles prisons, CDC est comme une prison de Piranèse mais chez Cockerill, les structures sont plus visibles, on voit l’ouverture.

La notion de limite disparaît.

Oui, on est dans le rêve… Il y a tellement de poussière, de machines, c’est tellement puissant, la réalité est si forte qu’elle disparaît. Les machines ne s’arrêtent jamais. On ne contrôle rien. Si on ne connaît pas les lieux, on ne voit même pas où sont les machines. 

Cela me fait penser au réalisme de Zola, une vision documentaire où les machines sont des êtres humains avec des contrastes de lumière très forts, un mélange très baroque...

Il y a d’un côté, les images qui existent et de l’autre, celles que j’invente, ce n’est pas uniquement documentaire. Je suis en recherche de quelque chose, d’une écriture, je suis dyslexique et j’ai eu beaucoup de problèmes à écrire le texte….

Oui c’est très initiatique ! On sent à la fois une approche objective, une vision documentaire liée à la photo, mais aussi une ambiance beaucoup plus onirique qui se développe tout au long du récit...

Quand j’étais petit, j’habitais à Charleroi, en face de l’usine et j’étais fasciné par tout ce bruit, on se demande ce qui se passe et une fois à l’intérieur, y’a plus de murs, y’a plus de ciel, c’est un véritable  studio de cinéma ! La première impression que j’ai eue, c’est de me retrouver gamin : j’adorais La Guerre des Etoiles, Galactika, ces grosses machines qui font beaucoup de bruit et plein de fumée !

Quand on est à l’intérieur, on se retrouve en pleine Guerre des étoiles...

Aujourd’hui que tu as terminé ce premier livre comment te situes-tu dans la bande dessinée contemporaine. Que lis-tu ?

J’étais en section BD mais ça ne m'intéressait pas, c’était surtout raconter avec des dessins… Il y avait des choses qui me plaisaient, Hécatombe par exemple. Là, il y a de la recherche, on va plus loin. Je ne connaissais pas encore Breccia, je cherchais une identité graphique… Les exigences étaient plutôt commerciales avec un scénario bien ficelé, etc. En même temps on était quelques copains et on a rencontré Fréon.

Je me retrouvais dans leur démarche. J’ai commencé à découvrir d’autres dessinateurs…

Et les graveurs ?

Non non, il n’y avait pas de graveur. Il n’y avait que moi en gravure ! J’étais très attiré par la peinture, Alechinsky… A l’atelier gravure, les peintres avaient une liberté que nous n’avions pas en BD et là, il s'est passé quelque chose...

C'est un récit sur la sidérurgie et tu travailles avec le métal, c'est fortuit ou justifié ?

Je n’aurais pas pu faire ce récit en litho, la lithographie ne permet pas ce tranchant qu’on a avec le métal. C’était logique de faire ça avec du cuivre, de travailler avec un instrument, la pointe sèche, d'avoir mal avec l’instrument. Depuis le début, je savais que ça devait être de la gravure, je pensais à Piranèse, je ne pensais qu’à la pointe sèche. Je voulais que ça soit un travail de fer. J’ai évolué vers l’aquatinte.

Peux-tu expliquer en deux mots comment fonctionne la technique de l’aquatinte ? 

Tu poses des fines particules sur la plaque, tu poses la plaque dans l’acide et l’acide traverse les fines particules et crée une trame. Il faut travailler des bains successifs. On travaille en négatif. On dessine les blancs et puis de plus en plus foncé.

Dans le récit, le titre que le narrateur imagine est Minotaure. Alors, Minotaure ou Moloch ?

Le Minotaure est l’homme taureau.

Y a-t-il un rapport entre le Minotaure et le chef d’entreprise dont tu parlais tout à l’heure ?

Ce personnage va me suivre, ce personnage est un massif, il est mort comme une brute. Il a voulu remplacer les ouvriers qui travaillaient avec une foreuse parce que ça n’avançait pas, il était furieux ! Les ouvriers étaient sanglés et lui il ne s’est pas attaché, la foreuse est tombée et lui avec, il est mort mais pas sur le coup. On aurait pu le réanimer, mais avec sa force et le fait qu’il n’aurait plus eu toutes ses facultés, ç’aurait été un monstre alors sa femme a préféré qu’on le débranche. C’était un Minotaure. Tous mes projets de récit se rapportent à ce personnage, mon père lui ressemble. Minotaure est le premier titre qui m’est venu. 

C’est par rapport au côté labyrinthe de l'usine ?

Oui bien sûr. On doit passer sous les machines, il y a des chemins un peu tortueux, on est dans la machine. Moloch s’avérait un titre plus juste. Pierre-Olivier Rolin m’avait parlé de Moloch, de Fritz Lang… Il y a un sacrifice. Moloch représente plus l’esprit, le dieu.

As-tu des projets d’exposition ?

Oui, à l'automne, dans un très chouette espace, La Muse hardie, une étable à Philippeville ! Il y a aussi des projets d’exposition avec des galeries à Charleroi, la galerie Cérami

As-tu des projets de livres ?

Des projets de livres… il y en a pas mal ! La suite de Moloch, qui n’est pas vraiment une suite, un projet sur Charleroi et un projet de gravure. Pourquoi pas encore travailler sur une autre usine… Le haut-fourneau, les terrils, je ne sais pas et puis fini Charleroi !