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Mr Burroughs

Pedro Nora (dessin) & David Soares (texte)

56 pages — 21 × 26 cm
noir & blanc — couverture souple
collection Amphigouri

 

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ISBN 9782930204345
14 €

Pedro Nora, sur Mr Burroughs

par Olivier Deprez

Pedro Nora, pouvez-vous nous dire d’abord quelques mots à propos de votre travail ? Quelle a été par exemple votre relation avec le co-créateur de Mr. Burroughs, David Soares ?

Je ne connaissais pas David Soares jusqu’à ce que nous travaillions ensemble sur Mr. Burroughs. Il était intéressé par mon travail qu’il avait vu dans Lisboa 24 horas publié par la Bedeteca de Lisbonne en 1999. Il m’a proposé de travailler sur l’écrivain Burroughs et m’a envoyé un scénario. J’ai accepté et j’ai commencé à créer les dessins pour l’histoire . Il n’y a pas eu de contact personnel jusqu’au moment où tout le livre fut dessiné. Une seconde rencontre eut lieu quand le livre fut complètement terminé.

Le scénario définissait des personnages, l’action et la mise en scène. J’ai pour ma part déterminé tout le côté visuel, le storyboard et imposé un certain rythme. De mon point de vue, le rythme ne donnait pas suffisamment de temps aux événements pour être assimilés par le lecteur.

Il y a une curieuse atmosphère dans votre récit. C’est comme un mauvais rêve. Comment avez-vous créé cette ambiance particulière ?

D’abord, il y a les éléments dans le scénario qui sont surréels, cauchemardesques, dérangeants. Puis dans le récit, les éléments sont atemporels, ils montrent au spectateur une série de séquences, parfois reliées, mais aussi indépendantes. J’ai voulu que ces événements aient l’air aussi normaux que possible pour les personnages. Ils devaient vivre cela normalement. J’ai aussi donné de l’importance au silence, aux pauses, à ce qui ne relève pas du récit directement pour rendre palpable le côté métaphorique des choses. Il y a aussi une proximité très physique des personnages. Il n’y a pas d’espace pour les laisser respirer. Parfois, l’un d’eux ne sait pas où il se situe exactement et cela, je crois, a pour conséquence de créer une étrange atmosphère. Et finalement le dessin lui-même, d’apparence irrégulière, perturbée, accentue cette atmosphère trouble (par exemple l’absence de tracé défini des yeux des personnages). 

Quelles sont vos influences ?

Je n’ai pas été influencé directement par la bande dessinée ou pas exclusivement. J’ai plutôt assimilé des influences dans des disciplines diverses. Mais je ne les ai pas directement intégrées dans mon travail, il s’agit d’une attitude envers des choses que j’admire et auxquelles d’une certaine manière je m’identifie. Par exemple, pour le Mr. Burroughs, j’ai été influencé par Trust de Hal Hartley, par les dessins de Mattotti, Ted Jouflas, un illustrateur anglais David Hugues et des écrivains comme Camus ou Boris Vian. Pour le moment, je m’intéresse aux récits de Tennesse Williams, de Sarah Kane, au dessin de Seth, Chester Brown, Ben Katchor, Kim Deitch, aux belles images pleines d’atmosphère d’Edward Hopper, à l’écriture d’Enrique Vila-Mattas et de Paul Auster pour n’en citer que quelques-uns.

Que pensez-vous du rapport entre la peinture et la bande dessinée ? 

Pourquoi me posez-vous cette question ? C’est curieux, je ne suis pas peintre. J’ai un diplôme de graphiste. Mais ce qui a déterminé mon style et a constitué l’essentiel de mon apprentissage dans les premières années a été le fait de mon contact avec les artistes. Je crois qu’il n’y a pas de raison de séparer les attitudes communes en fonction de l’expression personnelle. Je n’ai pas de problème avec les dessinateurs de bande dessinée qui exposent dans les galeries et les peintres qui utilisent la bande dessinée et j’apprécie de plus le bénéfice de telles démarches. Regardez Raymond Petitbon, Mark Beyer ou David Schrigley. Que font-ils ? Ils franchissent sans cesse les frontières dans lesquelles on veut les cataloguer et c’est très bien comme ça.

Votre bande dessinée met en scène l’underground mais en même temps, les dessins sont très «chics». Les dessins montrent un Burroughs dandy. Que pensez-vous de ça ?

D’abord, il ne s’agit pas du tout de Burroughs, mais d’une espèce de double de l’écrivain. Je crois que ce portrait le montre très sympathique. Mr. Burroughs a des amis proches et il a de bonnes relations avec ses voisins. Il y a une certaine distance dans sa façon de travailler avec ses collaborateurs, mais il n’hésite pas à aider Tovey, l’étudiant. Je ne sais pas s’il s’agit d’un dandy ? Il est un aspect de l’image que j’ai créée de l’écrivain W.S. Burroughs. Dans ce portrait, il n’y a pas de références aux éléments les plus emblématiques de sa création : la drogue, le cut-up, ou même sa sexualité. On pourrait dire qu’il s’agit d’une version «soft» de l’écrivain.

Il existe un courant aujourd’hui en bande dessinée qui souligne les aspects littéraires du médium. Chris Ware, par exemple, dit que pour créer une bande dessinée il faut connaître beaucoup de choses, il faut connaître la poésie, l’art, la philosophie, etc. Partagez-vous ce choix ?

Oui, je me répète, mais je pense qu’il faut s’imbiber d’un maximum de disciplines. Je crois que c’est une approche postmoderne de la bande dessinée. Certaines personnes soulignent le fait que la bande dessinée est un bon lien entre l’image et la littérature. Il se produit le même phénomène dans le domaine du cinéma et de l’animation. Quant aux propos de Chris Ware, je crois qu’il s’agit moins de dire ce qu’il faut faire que de le faire, ce qui est plus productif.

La bande dessinée n’est pas exclusivement liée à ce qui lui est extérieur. Pour le moment, mes bandes dessinées préférées sont celles de Ware, Deitch, Seth, Spiegelmann, Katchor. Et que font-ils ? Ils écrivent une histoire alternative de leur pays. Ils sont suffisamment importants pour être mis côte à côte avec les études contemporaines de la culture populaire. Ils s’imbibent de leur époque. Ils intègrent dans leur bande dessinée des éléments populaires.

Pourquoi avoir créé le récit en noir et blanc et non en couleurs ?

Ce choix est lié a des raisons pratiques et esthétiques. J’étais limité par des impératifs de production. Et d’un autre côté, je pense que le noir et blanc m’a permis d’être plus direct et précis. J’ai plus recours à ce genre de traitement qu’à la couleur. Mais après le Mr. Burroughs, j’essaye de me mettre à la couleur. L’expérience à l’air de prendre par ailleurs. J’utilise essentiellement la couleur pour souligner l’aspect des objets placés dans une certaine situation.

Votre dessin a un aspect minimaliste, mais il ne s’agit pas d’un minimalisme pur et dur. Par exemple, les taches ont une fonction dans le récit.

Je pense que mon dessin est minimaliste dans ce sens qu’il a tendance à rejeter ce qui n’est pas nécessaire. Cela confine à un certain symbolisme. Les objets sont mis à contribution pour leur valeur métaphorique plutôt que pour leur réalisme. Et cela est aussi très expressif. Le dripping et les taches ont pour fonction d’accentuer le mouvement. Dans le cas des yeux, ils sont utilisés de telle manière que vous ne puissiez avoir un rapport empathique direct avec les personnages. Ces yeux ne vous regardent pas directement, ils cachent quelque chose. Ils donnent cette sensation d’étrangeté. Et en même temps, ils échappent au cliché du regard tel qu’il est souvent défini dans la bande dessinée, trappe dans laquelle je ne voulais pas tomber. Les yeux sont un motif qui me cause beaucoup de difficultés. Même si je pense qu’il s’agit d’un cliché, les yeux sont un reflet de l’âme de la personne. Les yeux qui deviennent des taches intensifient le mystère des personnages.

Quels sont vos futurs projets ?

Je suis en train de travailler à plusieurs projets : une courte histoire pour Rosetta # 2 publié par The Alternative Comics et édité par Suat Tong ; je travaille aussi sur un récit intitulé Twister (un long récit qui me donne des difficultés) d’après un scénario de Jessica Khane. Ce récit sera publié en plusieurs parties, trois ou quatre livres (que j’auto-publierai au Portugal sans doute). Je suis aussi éditeur, co-éditeur avec Isabel Carvalho d’une revue de bande dessinée appelée Satelite Internacional qui en est à son troisième numéro.

Entretien avec David Soares