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La crâne rouge

DoubleBob & Nicole Claude

40 pages — 17 × 32 cm
impression couleur, jaquette —
collection Knock Outsider!

 

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ISBN 9782930204642
14 €

Entretien avec DoubleBob, sur La crâne rouge

Entretien réalisé à Vielsalm, au CEC La Hesse en aout 2009, au cours de la résidence qui a donné lieu à réalisation de l’ouvrage La crâne rouge, par Alexandre Balcaen et Carmela Chergui pour le compte de la revue Neuvième Art.

∞ Comment avez-vous décidé de participer à cette résidence, était-ce l’envie d’en faire un livre ?

Non, j’ai même mis un moment à comprendre que ça allait déboucher sur un livre. Ce qui m’intéressait c’était l’expérience. Ce qui m’a plu et motivé c’est que le but c’est pas d’apprendre à faire faire de la bande dessinée mais vraiment de faire quelque chose avec quelqu’un.

∞ Aviez-vous déjà collaboré avec quelqu’un auparavant ?

Pas sur une bande dessinée. J’aime bien dessiner avec des gens pour le plaisir mais je n’avais jamais fait un truc comme ça.

∞ Qui a souhaité vous faire travailler avec Nicole ?

C’est moi, j’ai de suite vraiment aimé son travail. C’est très beau. Il y avait quelque chose de vraiment différent dans sa façon de voir les choses.

∞ Comment décririez vous votre processus de travail ?

Je sais pas encore trop, on a cherché tout le temps. Au début on a foncé - de toute façon c’est plutôt ma façon de faire, je cherche pas spécialement et en plus avec elle, à faire quelque chose de construit tout de suite — on a surtout travaillé ensemble, cherché à créer ensemble plein d’images pour essayer de voir ce qui ressortait comme «champ visuel», comme motifs. Quelque chose s’est construit assez rapidement. Elle travaillait quasiment tout le temps d’après photos et certains motifs reviennent : les visages de face, qui même si au départ sont assez beaux ou en tout cas heureux finissent par se torturer, et les maisons. Sinon elle dessine des carrés. Et des fleurs, pour se détendre de temps en temps.

∞ Y a-t-il a un rapport entre ce qu’elle raconte lorsqu’elle travaille et ce qu’elle dessine ?

Elle pense à plein de choses vraiment sordides qu’on retrouve dans ses dessins, dans sa façon de transformer les visages hurlant aux dents pointues et aux yeux exorbités.

∞ Que faites-vous de ses dessins ?

J’ai peur d’y repasser parce que je les trouve trop beaux et j’ai pas envie d’y retoucher. Et puis après je joue le jeu, je sais qu’on le joue à deux donc j’essaye… Je travaille sur ce qu’elle dit, elle parle beaucoup de ses angoisses. Je lui ai expliqué la façon dont on procédait et elle est d’accord. On a essayé de créer une histoire ensemble mais ça ne vient pas donc c’est pour ça que je pars de ce matériau-là sans essayer de faire de la psychologie. Moi j’imprime des images en rapport avec ce qu’elle raconte pour voir ce qu’elle en sort et j’interviens en fonction des choses dont on a pu parler (et de mes propres trucs aussi pour que ça soit personnel quand même).

∞ Sentez-vous un retour de sa part sur les images que vous produisez ?

Pas énormément, parce qu’elle a une façon de travailler super directe et qu’elle a ses propres constructions. Elle part toujours du fait qu’elle ne sait pas faire et ensuite elle fait un visage, une sorte de bol renversé et ça c’est les cheveux : ensuite les deux yeux , c’est deux ronds, et un triangle et la bouche. Puis c’est les dents, et dans les dents de temps en temps elle rajoute des trucs sur le côté, des bras. De temps en temps, très bizarrement elle se sert du dessin que j’ai fait. Elle l’intègre complètement. Souvent c’est au moment où je suis parti donc je ne comprends pas, je trouve ça assez chouette. J’avais dessiné juste des jambes et deux trois autres trucs et elle a dessiné son personnage avec les jambes à l’intérieur, c’était super bien. Elle a pensé le personnage d’une manière vraiment étrange par dessus mais qui était vraiment… On peut difficilement croire que c’était pas fait exprès.

∞ Lui-enviez vous sa spontanéité et sa liberté de création ?

 

Oui, je me doutais que ça allait m’arriver. Je n’ai pas pris le parti de dessiner comme elle. J’ai essayé, mais plus pour le plaisir d’essayer et voir si on pouvait réussir… J’ai envie vraiment que nos styles se mélangent, c’est un des buts principaux, pas que ça soit juste un match ou une opposition. Il y a une autre manière de mélanger.

∞ Comment ordonnez-vous vos travaux ? Est-ce narratif, chronologique ?

Non… On a fait plein de dessins pendant plusieurs jours. Je n’ai pas cherché à y voir une narration ou une suite logique ou quoi que ce soit et c’est après, j’ai pris une après-midi pour tout étaler et essayer de regarder ce qui en ressortait. On a des formes qui se sont dessinées entre les choses et on continue à glisser entre les différents morceaux pour créer quelque chose.

∞ A-t-elle conscience que ces dessins devraient être en rapport les uns avec les autres ?

Je n’en suis pas sûr mais je ne pense pas. J’ai essayé de lui montrer des bd pour qu’elle voit ce que c’était. Je savais pas si elle connaissait, je lui avais déjà posé la question et elle me répondait pas. Elle a eu une réaction un peu étrange, je pense que ne sachant ni lire ni écrire, elle l’a écartée. Elle ne veut pas que je lui parle de ça. Je lui ai montré les pages mais elle se fiche de ses anciens dessins. Ce qui compte, c’est quand elle les fait. Elle apprécie énormément qu’on lui dise que c’est beau, c’est important mais pour l’instant l’aspect narratif de la chose c’est pas l’essentiel… C’est pour ça aussi que je privilégie le côté humain, ce qu’on est en train de faire ensemble, le moment qu’on est en train de passer, parce que je pense que c’est ce qu’elle retiendra, si elle retient quelque chose.

∞ Lui apprenez-vous des techniques, avait-elle déjà fait des monotypes ?

Oui, et elle pourrait m’apprendre pas mal de trucs aussi. Elle a besoin d’être amenée à utiliser des outils, elle prend rarement une initiative — encore que là, au fur et à mesure je suis content parce qu’a force de lui dire «qu’est-ce que tu veux ?», elle a pris des drôles d’initiatives du genre de coller une photo directement sur case. Je ne cherche pas à lui apprendre quoi que ce soit. Elle fait déjà plein de choses, elle y arrive super bien donc j’ai juste envie qu’on arrive à créer une communication par le dessin.

∞ Vous prenez des notes de ce qu’elle raconte ?

Oui, au fur et à mesure de la journée je notais tout ce qu’elle disait, ça prenait pas mal de temps d’ailleurs, ça m’interrompait au cours d’un dessin. Le fait de travailler avec quelqu’un qui a besoin d’être stimulé au niveau du dessin, surtout quand on essaye de l’accompagner pour que ça ait une cohérence, ça prend beaucoup de temps et ça en laisse peu pour soi.

∞ Isolez-vous des phrases dans le flot ?

Non justement, c’était ce que je ne voulais pas faire… Enfin voilà je travaille avec elle et je la respecte énormément, j’ai pas du tout envie de mettre sur le tapis des choses qui pourraient être mal interprétées, parce que ça pourrait facilement être mal interprété...

∞ Un côté racoleur ?

Exactement et moi j’aime pas ça… Il y a des gens qui s’y retrouvent. C’est un genre… Par exemple, un comics avec tous les trucs les plus provocs qu’on peut trouver parce que ça fait du bien ou ce que tu veux. Je veux pas en arriver là: «hé regardez j’ai trouvé elle est géniale, ce qu’elle dit c’est un truc de dingue». Je note tout ce qu’elle dit, donc ça déconstruit réellement le processus parce que s’il y a un petit «question-réponse» il se passe des choses étranges — elle pose des questions et des fois, elle y répond. Et je ne mets pas de ponctuation pour l’instant , il y a pas l’aspect temporel, on se retrouve parfois avec des phrases qui ont une heure ou deux heures ou deux jours d’écarts et qui sont collées et qui prennent un nouveau sens. Elle revient beaucoup sur des thèmes, comme pour les dessins, il y a comme une masse qui se crée. Ses histoires sont bizarrement imbriquées et c’est là qu’on se rend compte que ça ne tient pas debout. Il y a des personnages qui en deviennent d’autres de temps en temps et des éléments qui appartiennent à certains personnages qui apparaissent ensuite chez les autres. Il y a quelque chose avec les yeux. Les gens dont elle parle ont qu’un seul oeil. C’est étonnant.

∞ Connaissez-vous son handicap ?

Je ne veux rien savoir, ça changerait tout. J’essaye de rester calme, elle raconte des histoires assez violentes, qui peuvent être intéressantes parce qu’on se sert de ça pour la narration, mais il ne faut pas oublier que ça lui fait peur. Elle est angoissée donc je ne la pousse jamais dans ce sens-là. Je note ce qu’elle me dit parce que ça sort mais par contre je ne cherche pas… Je note aussi des petits trucs positifs. Par exemple elle aime bien les moutons donc je suis plutôt à lui parler de moutons.